C’est reparti pour un tour ! Les récits (j’ose même plus appeler ça résumé, y’a trop à dire) de course sont à mon sens importants. Ils permettent de figer les choses, de se rappeler les bons moments, d’exposer au grand jour les mauvais. Ils peuvent servir aux autres pour choisir ou non une épreuve, et également éviter des erreurs bêtes…
Alors allons-y ! Moi c’est Erwan, j’ai des gros mollets et une toute petite… (Woooow ?! A quoi vous pensez ?) mémoire.
M-15 :
Vous vous en souvenez peut être, j’avais participé au SWISSMAN 2023. Non sans mal, loin de là ! Pour la faire courte, la journée fût belle mais accompagnée d’un fort vent, créant des vagues dignes des Jeux Olympiques de surf à Tahiti (presque) pour la partie aquatique et opposant une résistance sensible lors des premiers 100 kilomètres de bicyclette. Ayant très mal géré la partie nutrition, la journée fût extrêmement compliquée et longue, largement agrémentée de pensées telles que « pourquoi ?! », « quel sport de c*n ! », « j’en peux plus », « et si j’arrêtais là ? » et surtout « plus jamais ».

C’est là que la toute petite mémoire intervient. À peine quelques jours après cette épopée/déconvenue, lors du trajet retour vers notre contrée mayennaise et après avoir fait valoir mon droit de véto, en qualité que copilote, à l’encontre des discographies de Soprano et Aya Nakamura, mes doigts pianotaient sur le téléphone et cherchaient une nouvelle débilité à faire. Au bout de quelques minutes, deux épreuves (une en Italie, l’autre au Canada) me font les yeux doux et sont elles aussi signataires du label « XTRI » qui recense les triathlons extrêmes, ayant pour course « phare » le célèbre NORSEMAN. Pas la peine de s’emballer, la période des inscriptions aux tirages au sort n’est pas encore commencée et de toute manière, l’envie du moment est plutôt au repos, à la pizza et à la bière (moment qui dura bien trop longtemps).
M-11 :
Bref, début de l’automne, je m’inscris avec plaisir au tirage au sort de l’ICON (pas d’acronyme, reste à savoir si c’est du sport ou de la mode) qui se tiendra en Italie en septembre 2024. Pas de panique, comme les autres tirages au sort pour les épreuves du label XTRI, nous sommes plusieurs milliers à tenter notre chance, et notre « ticket » est multiplié par le nombre d’années consécutives à l’inscription à cette loterie. Autrement dit : première inscription = probabilité quasi nulle !
M-10 :
Sauf que voilà, le 27 novembre 2023, au fin fond de mon fauteuil seulement à moitié confortable puisque la maison est en travaux, et au beau milieu de la 14ème relecture d’un récit d’aventures de deux frappadingues à bicyclette accompagnés de leurs boules de poils vers le Nordkapp, le TIIIIIIING bien singulier de mon Mac (Intosh, pas Donald, faut suivre un peu) retentit…

J’ai beau être une buse en anglais, avoir les yeux rougis par autant de virgules dans la maquette du bouquin précité, je comprends assez vite que le mail reçu m’annonce une nouvelle importante.
Evidemment je suis content, très content même, d’être tiré au sort, mais également effrayé par l’idée de revivre les mêmes sensations qu’en Suisse.
J’avoue que la demi-heure qui a suivi cette annonce m’a fait pas mal réfléchir. Tout d’abord, c’est un budget et une organisation de devoir partir avec affaires, vélos, voiture et tout le toutim. Suis-je également prêt mentalement à me remettre au sport de façon aussi conséquente lors des prochains mois, en sachant que le parcours est encore plus difficile ? En fait, je crois m’être inscrit seulement en me disant « avec la probabilité, ça servira pour les prochaines années, je serai jamais pris la première »… Sauf qu’en fait… Si !
De toute manière, même organisation que pour le SWISSMAN, il faut un accompagnateur pour gérer les ravitaillements lors de la course et aussi pour grimper lors de la dernière difficulté de la journée. Honnêtement, je ne suis pas sûr de vouloir quelqu’un d’autre que ma douce et tendre pour ce rôle alors j’attends sagement son retour à la maison pour lui poser LA question : « Veux-tu refaire mon assistance, mais cette fois-ci en Italie ? ». Sa réflexion à elle est bien plus rapide et tient en un mot et un quart de seconde : « OUI ». Bon bah ok…
M-4 :
Première salve de congés et direction le massif des Alpes et plus précisément Annecy pour profiter des montagnes environnantes et « bicycletter » comme il se doit. Nous y sommes également pour, à la base, encourager les copains sur l’Alpsman (full distance) mais aussi pour que Gaëlle vienne à bout de son half-Alpsman, ce qui sera, bien entendu, chose faite (comme tous les copains du club d’ailleurs) ! C’était sans compter sur une requête toute particulière de la famille Daraize qui, innocemment, me fait savoir que Jimmy aimerait bien être accompagné pour grimper en haut du Semnoz (pas obligatoire, mais si vous lui demandez, je pense qu’il vous dira que c’est important 😅).
Bref, la journée du 8 juin est intense, j’encourage Gaëlle du mieux que je peux, je l’attends à l’arrivée pour immortaliser le moment et j’entame aussi sec ma mission « ascenseur » pour aider mentalement Jimmy à monter jusqu’en haut, lui aussi ! Je croise dans la descente Emilie qui me dit « il devrait arriver d’ici 5/10 minutes ». Plus gros mensonge du monde, je pense avoir descendu 40 minutes avant de le retrouver et pour cause : je récupère mon poulain après sa vidange intestinale. On monte progressivement (pause sieste comprise) avec Pierre Louis jusque tout là-haut et la journée se termine après une photo tous ensemble au sommet du Semnoz.



Lendemain matin, plein de bonnes intentions, j’attrape tout le linge de la veille qui pue et je descends faire une machine : CRIC CRAC BOOM. Ma cheville en carton-pâte (les cordonniers sont les plus mal chaussés) n’attrape qu’un bout du paillasson de m**** qui traine en bas des marches de notre logement et le temps de brailler, la cheville a déjà doublé de volume. On oubliera donc la rando et la course pendant quelque temps, alors que la région d’Annecy s’y prête à merveille. Heureusement, à vélo tout va bien et j’en profite donc pour borner comme un 🐷 dans les cols que j’ai pu découvrir à l’Etape du Tour 2018 : La Croix-Fry, Romme, Colombière (de vraies saloperies !). Mais également dans mon préféré : le Cormet de Roselend. Bref, en dix jours j’avale, non sans mal, 750 kilomètres et 16 000 mètres de dénivelé : la prépa est bel et bien lancée !
M-2 :
3800 mètres de natation en eau froide
195 kilomètres de vélo dont 4700m d+
41 kilomètres de course à pied dont 1200m d+
Voilà ce qui m’attend le jour J. Alors préparer les jambes, oui, mais il faut également préparer la tête, et pour ça, quoi de mieux que l’Endurathlon à Saint Denis de Gastines (qui consiste à enchaîner course à pied sur 9 km et VTT sur 25 km et ce, pendant 24 heures) ? Le but n’étant pas de se blesser, mais de faire environ 18 heures d’efforts, nous le ferons à deux. Avec qui ? Gaëlle pardi ! Je passe les détails de moments plus ou moins compliqués, mais nous arriverons au bout de cette épreuve évidemment fatigués, mais satisfaits de nous-mêmes et sur la 3ème marche du podium, sur laquelle nous ne sommes au final pas montés puisqu’il y a eu tout un souci logistique avec les puces de chronométrage après la ligne d’arrivée.
Il me reste 8 semaines d’entraînement dont tout le mois d’août et je n’aime pas la chaleur. Heureusement, la météo sera de mon côté et laissera les épisodes caniculaires loin de la Mayenne. Les sensations sont bonnes, la tête va bien et moralement j’enchaîne les grosses séances même tout seul (tous les copains qui aiment les mêmes défis débiles ont « fini » leur saison) sans ressentir trop de lassitude…
J-6 :
Départ de Laval prévu à 5 heures, nous sommes assis dans l’automobile et le moteur démarre à 4 heures 59 en direction du Lac de Garde en Italie. Quasi 13 heures de trajet nous attendent ! La voiture est pleine à craquer avec nos deux vélos, l’équivalent de deux armoires pour les affaires de Madame et de quoi nourrir le Yémen en barres et gels énergétiques pour le triathlon qui s’annonce…
Le voyage se fait très bien, le logement nous convient, il fait beau et chaud, place aux vacances ! Au programme des prochains jours, quelques balades dans les villes avoisinantes, un peu de vélo pour tester le matériel et les jambes, et du repos afin d’arriver en pleine forme sur la ligne de départ (à aucun moment je n’approche d’un escalier avec une panière dans les mains).
J-1 :
Rien ne va plus. Le temps a tourné à l’orage dans la soirée et le vent a soufflé toute la nuit. Résultat, j’ai mal dormi, je me lève avec un mal de crâne pas croyable et un peu de fièvre. Tip-top pour faire les 4 heures de route qui nous séparent du site de la course… Je n’ai envie de rien, je ne me sens même plus vraiment en état de prendre le départ de cette course. Des souvenirs me reviennent du SWISSMAN et je sais d’ores et déjà que m’engager dans un tel défi sans être en pleine forme compliquera encore plus la chose.
Les mots de Gaëlle m’apaisent, je tente de me convaincre que ça va passer et nous prenons la route après avoir vérifié une dernière fois toutes nos affaires. D’habitude, conduire me détend mais pas aujourd’hui, je ne me sens toujours pas bien et c’est seulement en laissant le volant que je me calme quelque peu. Nous nous arrêtons au Mac (Donald, pas Intosh, faut suivre un peu) et je mange ce que j’arrive à avaler. Oui oui, vous ne rêvez pas, c’est bien le macdo d’AVANT course 😅.
Arrivés à Livigno et entre 2 allers-retours stressants entre le logement et site de la course (les consignes d’avant course et de dépose des sacs ravito/équipements sont peu claires), nous filons au lac voir ce qui m’attend demain matin. Nous croisons d’autres français qui reviennent de la « baignade » et qui annoncent l’eau glaciale mais qu’avec chaussons et gants néoprène ça va beaucoup mieux. Excellent, je n’ai rien de tout ça…
Parce que oui, j’ai oublié de préciser, mais la natation se fait dans un lac d’altitude (1700m). La présentation de course en ligne annonce une température de l’eau estimée entre 12 et 18 degrés, la combinaison y est obligatoire ainsi que la cagoule. Y’a clairement une sacrée marge entre les deux températures, et même si je ne suis pas frileux, j’appréhende quand même un peu. Il était également précisé dans les directives de course que les gants et chaussons néoprènes étaient conseillés. Pfffff, du business tout ça nan ?

Alors je vais mettre mes patounes dans la flotte face au panorama grandiose, et sans surprise… c’est froid ! Froid mais pas non plus atroce (enfin après 2 minutes). Sauf que vu mon état de fatigue ET de confiance lié à la forme du jour, l’autre concurrent qui vantait les mérites des gants et chaussons me fait douter comme jamais… Nous partons à la recherche d’une boutique qui vend ces articles, nous ne sommes pas les premiers à passer et faisons donc chou blanc.
Mission May’Gyver : Gaëlle pense à un système avec des sur-chaussures (j’avais aussi imaginé grossièrement le concept en lisant le briefing, ce qui évitait d’acheter un truc exprès, qui, comme je ne suis pas frileux, ne servirait pas……… 🙃) qu’on fermerait à l’aide de scotch pour limiter le contact des pieds avec l’eau froide.
Direction le magasin d’équipements vélo, achat de gants hiver classique (en fait, j’ai déjà des gants néoprène de plongée) pour la partie cycliste si jamais il fait vraiment froid. Les anciens que j’ai déjà vont au final servir à barboter. Achat également de sur-chaussures à la marque au scorpion blanc sur fond rouge et retour au logement pour bricolage. Pied + chaussette + sac poubelle + sur-chaussure + scotch = on croit à l’à peu près hermétique et on verra demain ! On ne le répètera jamais assez : pas de test matériel sur une course ! 🤣
Dans l’absolu je vais mieux, l’envie est revenue. J’appelle alors quelques copains pour discuter de mon état de forme et envisager la journée de demain. Un seul objectif, finir la course et passer la ligne au sommet !
On mange, on refait une fois de plus l’inventaire du matériel à prendre, le plan de course avec les alimentations et bidons à prévoir, les lieux de ravitaillement et hop, extinction des feux à 22 heures.
H-4 :
Il est une heure du matin, le réveil sonne dans une heure et quarante-cinq minutes, je n’ai toujours pas fermé l’oeil. J’appréhende chaque partie, chaque millimètre de la course. La partie aquatique m’effraie, vraiment. Je n’ai jamais ressenti pareil stress d’avant course.
J’essaie toutes les techniques pour me reposer et dormir un peu, compter les respirations, inspirer et souffler longuement, ouvrir une fenêtre, retourner l’oreiller dans un sens, puis dans l’autre, mettre seulement une jambe sous les draps, regarder du snooker sans le son. Rien n’y fait. Alors oui, Cédric et Julien m’ont dit (pour la 800ème fois je pense) « ce n’est pas la dernière nuit la plus importante », sauf que la précédente n’a pas été bonne non plus…
H-2 :
Le réveil sonne : 2h45. Le seul avantage à ne pas dormir une seule seconde, c’est super facile de se lever. Deuxième point positif tout de même, j’arrive à petit-déjeuner sans problème.
J’espère ne jamais revivre ce moment avant une course. Physiquement, je me sens fatigué et mentalement, je n’ai plus aucune confiance en moi et je n’ai aucune envie de me faire mal (ce qui n’est pas vraiment compatible avec la journée qui m’attend). J’en pleure et je tombe dans les bras de Gaëlle plusieurs fois. Nous comprenons tous deux que je ne suis vraiment pas loin de ne même pas prendre le départ de cette course.
H-1 :

Nous équipons mon vélo, mes pieds avec le néo-système de chaussons non breveté, j’enfile ma combinaison, ma cagoule et tout ce dont j’ai besoin. Je quitte Gaëlle qui ressent la même chose que moi (ses mots dans le groupe WhatsApp, partagés avec les copains pour l’occasion, traduisent pleinement la situation : « je ne l’ai jamais vu aussi peu confiant »). Je vais vers la ligne de départ, en me disant que cette journée n’est pas celle pour laquelle j’ai fait tous ces efforts, qu’elle va s’arrêter bien plus vite que prévu…
En tenue et sur la ligne, dans les dernières positions (à l’image de ma détermination du moment), la partie aquatique commence. Je regarde au loin le parcours à faire et distingue à peine les 2/3 premières lumières à suivre sur le lac. J’entends alors un compère français (Joaquim) qui l’a déjà fait et annonce qu’ « une grosse lumière va s’allumer à l’autre bout au moment du départ pour mieux suivre ». On ne verra jamais ce spot.

C’est parti :
L’eau est annoncée à 13,5 degrés. Pas fou. On va voir si le bricolage des chaussons fait le boulot. Hé bien oui, du moins pour le moment ! La pente pour entrer dans l’eau est toute douce, ce qui fait que nous marchons sur une centaine de mètres avant de nager pour de vrai. Il fait nuit noire et cherchant la direction à suivre, il m’est impossible de « poser ma nage » pour le moment. Les gants font leur job, mais l’eau infiltrée dedans pèse et chaque mouvement de bras est un peu plus dur, j’ai l’impression de partir pour un 3800 plaquettes. En brasse, la bouée fluorescente accrochée à ma taille m’enquiquine et s’emberlificote dans mes pieds. Je cherche avec difficulté à trouver un rythme, comme pas mal de monde à mes côtés.
La vraie complexité de l’épreuve commence. On n’y voit que dalle ! Je veux dire par là : je savais qu’on nagerait en pleine nuit pendant presque la totalité du parcours, mais le bémol, on ne voit qu’à peine les bouées et donc la direction à suivre. Ce sont de pauvres spots gros comme des téléphones qui éclairent autant que des frontales, à environ 500 mètres les uns des autres… Et c’était sans compter sur des spectateurs ou secouristes qui avançaient au bord du lac avec des lumières, que nous suivions avant de nous rendre compte que nous nous rapprochions de la berge… J’apprendrai le lendemain par Joaquim que certains concurrents, malgré eux, ont complètement coupé une partie de la boucle en filant directement à une bouée en diagonale au lieu de suivre l’arc de cercle prévu…
La montre vibre tous les 500 mètres, j’en perds cependant le compte. La seconde partie de natation se passe mieux, la nage est enfin posée, mais je finis par avoir froid, au dos principalement. Le bricolage artisanal au niveau des pieds fait son boulot, mais il manque de se défaire au niveau du talon et c’est débile, mais je refuse de perdre une sur-chaussure achetée la veille ! N’ayant jamais été bon batteur (je ne vous parle ni de musique, ni de baseball) je reste donc les jambes flottantes et des crampes me prennent de temps en temps aux mollets et aux cuisses mais je gère pour garder mes jambes ET mon matériel.
Ça y est, je vois enfin le bout, d’autres athlètes se redressent sur ma gauche, j’avais visiblement pas mal dévié. Je sors frigorifié, ma montre indique un peu plus d’une heure et trente minutes pour pas moins de 4700 mètres. Livigno est une ville franche, mais y’a quand même des taxes à payer visiblement…



En conclusion de cette partie, si j’avais à le refaire, je mettrais la vaseline sur l’ensemble de la nuque et non pas seulement sur la partie du cou habituelle, la cagoule a bien frotté, c’est peu de le dire. Evidemment, des chaussons de natation bien adaptés plutôt qu’un bricolage seraient certainement bénéfiques. Et enfin, je nagerais sans les gants, je pense que les mains peuvent survivre dans une eau à 13 degrés le temps de la partie natation…
Gaëlle est contente de me retrouver à la transition, l’inverse est aussi vrai. Elle m’aide beaucoup puisqu’avec les doigts frigorifiés, je ne peux pas faire grand-chose. Le moral est toujours bien bas, j’ai du retard sur mes estimations de temps et j’envisage assez mal encore la partie vélo en ayant peur du froid. Premier petit hic, le parc de transition se situe dans une partie herbeuse d’environ 100 mètres de long, dans laquelle j’évolue avec les chaussures vélo. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Pas de transition éclair ici, et encore moins de saut sur le vélo/chaussures tenues avec des élastiques. Sauf qu’avec l’humidité matinale et celle de la veille, je me retrouve avec tout un paquet de m*rde collé dans les cales ce qui m’empêche de « clipser » les chaussures à ma monture. Le tour d’équilibriste commence et je m’évertue à rester sur la selle tout en décrottant mes souliers. Mission quasi effectuée, j’ai enlevé le plus gros et je peux maintenant pédaler pour de vrai.

Les premiers coups de pédales font du bien et me réchauffent, tout comme le thé bien chaud dans un bidon préparé par Gaëlle. Cependant, le programme du jour est dense et le premier col montre le bout de son nez au bout de 10 kilomètres.
À l’apéritif, le Forcola Pass (2315m), 7 kilomètres à 7%, relie la vallée de Livigno à la frontière Suisse. Malgré mon gabarit tout sauf grimpeur, je récupère déjà pas mal de monde dans cette première montée. Ça fait du bien au moral mais l’objectif est simple, ne pas s’emballer (même si ça va) avant le 150ème kilomètre du parcours vélo. D’ailleurs, pas la peine de se modérer vraiment, je tente un mouvement de danseuse qui se termine en moins d’une seconde : ça crampe de partout. Je me rassois sagement et je pédale en réfrénant mes ardeurs. En haut, Gaëlle m’attend et je lui fais savoir que je me sens mieux. Elle est en FaceTime avec Julien (l’énergumène que j’ai supporté, au propre comme au figuré, lors du SWISSMAN 2018) et nous échangeons quelques mots. Je pense alors à lui en entamant la descente (il est complètement cinglé et ne freine jamais), je m’applique à faire de même et laisse filer mon bolide dans les grandes courbes, tout ça dans un paysage époustouflant.



Vient ensuite l’entrée, le Bernina Pass (2328m), 4 kilomètres à 8%, l’enchainement arrive très vite. La descente depuis le Forcola Pass n’a duré que 4 kilomètres et la route se cabre de nouveau. J’arrive cette fois à me dresser sur les pédales, les sensations sont bonnes et le décor est… WAAAAAOUUUW. Le règlement stipule bien que l’usage des téléphones portables est interdit. Je ne peux résister à l’envie d’immortaliser le panorama et tente d’attraper mon smartphone afin de voler tout de même un cliché. C’était sans compter sur ma balise GPS (obligatoire pour assurer sécurité et « pas de tricherie ») qui manque de sauter de ma poche. Je me ravise donc et garde seulement la beauté du paysage en mémoire, tout en continuant de pédaler vers le sommet. Une fois tout là-haut, je suis content de mon choix vestimentaire (cuissard long, maillot thermique et veste chaude) car je vois d’autres concurrents grelotter et même trembler dans la descente. Il fait effectivement bien froid à plus de 2000 mètres d’altitude, les virages sont peu nombreux et la route bien large favorise la prise de vitesse dans les descentes.
Arrive ensuite une longue portion presque plate d’environ 40 kilomètres, qui permet d’appuyer de manière régulière sur les pédales et de se ravitailler pour la suite de la journée. Une seule chose m’agace, ça « drafte » de partout. Le règlement est pourtant clair et l’interdit. Je vois pourtant des triathlètes rouler par deux, voire trois. Lorsque je double un concurrent, je le vois presque systématiquement se mettre dans ma roue pendant quelques minutes avant de me redouble… J’ai même vu un concurrent rouler avec des personnes de son club, qui ne prenaient pas part à la course… Dans l’absolu, je ne joue pas le podium, le classement ne m’importe pas, mais les règles sont là pour une certaine forme d’équité entre chaque participant et je trouve vraiment dommage de « tricher » sur une épreuve que l’on choisit et qui s’avère aussi mythique !
Vient ensuite le plat de résistance, en deux difficultés : la montée dès la sortie de Zernez (4 kilomètres à 8%) et l’Ofenpass (2149m). Si la première commence à pincer dans les cuisses, la seconde ascension de ce tronçon me plait beaucoup plus : il s’agit de 3 rampes d’environ 1 kilomètre, plutôt raides avec un peu de faux-plat entre chaque. Le paysage est toujours magnifique malgré les quelques nuages présents dans cette vallée. Rien de bien particulier à dire sur cette portion, hormis le fait que je double encore pas mal d’autres athlètes et que je reste hyper concentré (autant sur mon pédalage que mon alimentation) en prévision de la suite. Tellement concentré qu’à un moment, un éclair me réveille et je suis surpris que le temps ait tourné si vite à l’orage. C’était sans compter sur un photographe à moitié caché entre deux arbres, sur le bord de la route, qui ne faisait que son travail.

Passons au fromage. Et ce n’est pas le petit plateau avec deux Boursin, un quart de camembert et l’équivalent d’une demi-livre de tomme des Pyrénées. Là, on parle de la maxi raclette XXL : le Stelvio (2757m) ! Il fait clairement figure d’épouvantail sur le parcours et le début de l’ascension n’arrive qu’au kilomètre 130… Je m’y suis préparé, mais j’avoue que voir sur mon compteur les données qui m’attendent (23 kilomètres de grimpette à 8% de pente moyenne, 1800 mètres à gravir) me font un peu peur. Dans ces moments là, deux phrases trottent dans ma tête « un tour de pédale après l’autre » et également, sponsorisé par Dans la Musette (simpliste mais tout à fait vrai) « pédale aussi fort que t’es con ». Je me retrouve à grimper la première moitié du col réputée plus facile (il n’en est rien), au même rythme ou presque, qu’un bikepacker clermontois. Nous échangeons par toutes petites phrases mais le temps passe plus vite et cela fait du bien de discuter un peu après déjà 6 heures d’efforts. La seconde partie d’ascension est encore plus difficile, la fatigue commence à se faire sentir, tout comme l’altitude à partir de 2300 mètres, et je suis en délicatesse avec mes ischios-jambiers gauches qui veulent cramper dès que je m’active un peu trop sur les pédales. J’atteins malgré tout le sommet de ce monstre des Alpes Italiennes et retrouve Gaëlle et ma gamelle de pâtes « fausse-carbos » (comprenez ici avec de la crème, des lardons et de l’emmental râpé) que je mange à moitié caché pour ne pas me faire expédier illico-presto à la frontière… Je me change rapidement en vue de la descente, l’air est à nouveau frais à cette altitude et la course n’est pas terminée ! Bon choix, parce qu’avec la vitesse, ça caille sévère et les concurrents que je dépasse tremblent d’un peu partout. Aussi concentré que je peux, je file jusqu’en bas de la vallée, en me faisant quelques frayeurs, sans incidence, à l’approche des tunnels assez étroits.



Et maintenant le dessert : le Foscagno Pass qui culmine à 2291 mètres. De difficulté moindre que le Stelvio, cette ascension mérite quand même un peu de respect, puisque les données de mon meilleur pote « Garmin » accroché à mon guidon affichent tout de même 15 kilomètres de montée à 7% de pente moyenne. Et autant dire qu’avec déjà 175 kilomètres dans les guiboles, le pédalage n’est plus vraiment fluide. Bref, je me rapproche chaque seconde un peu plus du sommet et le début de la grimpette est largement tempéré car j’ai toujours ma grosse veste depuis la descente du Stelvio. L’organisation avait prévenu, les voitures peuvent être gênées dans le trafic et ils avaient même envisagé que les athlètes arrivent avant leur assistance à T2. Il n’en sera rien pour moi, si j’avance comme il faut à vélo, il faut préciser que c’est l’équivalent de Sébastien Loeb qui pilote ma voiture (je doute que Gaëlle sache où se trouve la pédale de frein). Les sensations dans ce col commencent à devenir pénibles, la route est large, il y a de nouveau pas mal de circulation, mais je reviens encore sur quelques adversaires alors le moral reste bon. Débarrassé de ma veste en cours d’ascension, et tant mieux car je surchauffais un peu, je gravis ce petit Everest avant la dernière descente de la journée.
Petit digestif ? La surprise du jour (enfin de la veille, on a été prévenu quand même) : la zone de transition initiale n’est finalement pas accessible. Les pluies récentes ont provoqué un glissement de terrain et l’organisation a dû revoir ses plans. Résultat : il faut à nouveau grimper pendant 3 kilomètres afin d’atteindre le Passo dell’Eira (2209m)… C’est donc reparti pour une dernière ascension, les jambes tournent moins bien, mais elles coopèrent ! En revanche, la tête commence à en avoir marre. D’autant plus que quelques portions de route sont en travaux, ce qui nous oblige à respecter des arrêts obligatoires aux feux rouges disposés pour la sécurité. C’est frustrant d’être coupé en plein effort, tout en sachant qu’il reste à peine 10 minutes avant de descendre du vélo.

J’arrive enfin à la zone de transition et je retrouve Gaëlle qui m’apporte tout ce dont j’ai besoin. Heureusement, car la lucidité commence à faire défaut. Elle m’aide également à me changer, je repars avec les couleurs du club, il fait un peu frais mais nous sommes en altitude pour le moment et la course réchauffe en principe ! Comme déjà évoqué, je ne fais pas vraiment la course « pour la place », mais plutôt « pour moi-même ». Gaëlle m’annonce tout de même à ce moment précis aux alentours de la 35ème place et j’avoue que je ne m’attendais pas à être si « bien placé ».
La motivation est là et le réel objectif de la journée « finir la course en haut », après un très bref calcul, devrait, sauf hécatombe, être réalisé. Car oui, sur cette épreuve, il y a bien évidemment des barrières horaires (sortie natation, points de passage vélo et T2) à respecter afin de ne pas être mis « hors course », mais il y a surtout un checkpoint pour être « top finisher ». La dernière ascension du jour étant longue et raide (très raide…), il faudra pointer le bout de mon nez avant 21 heures précises au kilomètre 27 afin d’avoir le droit de grimper jusqu’à la ligne d’arrivée située à Carossello3000. Si jamais j’arrive après cet horaire (et tout de même avant 23 heures), j’aurai « seulement » le droit de terminer à plat dans le village de Livigno avant de franchir une autre ligne d’arrivée située dans la vallée.
Il est 16 heures 30 lorsque je commence à mettre un pied devant l’autre, j’ai donc 4 heures et 30 minutes pour parcourir 27 kilomètres. Les deux premiers sont en descente assez raide, sur des chemins parsemés de cailloux que je tente d’éviter du mieux que je peux. Mes quadriceps grognent un peu mais je cours et les sensations sont encore assez bonnes. Seul bémol, dès que le chemin se cabre, même pour simplement 4 ou 5 mètres, j’ai du mal à pousser et je suis contraint de marcher.
Arrivé dans la vallée de Livigno, il reste environ 25 kilomètres à parcourir sur terrain presque plat, entre pistes cyclables, chemins pédestres et bords de routes. Les sensations se révèlent bien moins bonnes qu’en descente, j’ai énormément de mal à trouver une allure « confortable » et mon rythme cardiaque s’emballe trop vite à mon goût. Cela m’énerve, évidemment, ce qui n’arrange rien, et je tente de prendre mon mal en patience en alternant marche et course en vue de rejoindre progressivement Gaëlle aux différents points de ravitaillements et au passage fatidique du kilomètre 27 où elle devra ensuite m’accompagner.
Je me rends assez vite compte que les autres concurrents sont dans la même galère que moi. Je me retrouve ainsi avec 3 autres participants qui « courchent » (alternance de marche et de course) eux aussi. Je les double, puis c’est leur tour et ainsi de suite. Cela permet de garder un objectif visuel où la motivation joue son rôle.
Jusqu’au moment où à force de se doubler, on échange quelques mots puis finalement on sympathise le temps de la course avec Jasper (from Dutch) ! On discute à propos de la journée comme on peut, surtout avec mon anglais mayennais restreint mais qu’il comprend (du moins il fait semblant et ses réponses semblent cohérentes). Le temps passe évidemment plus vite, et cela nous rapproche à chaque foulée un peu plus de l’arrivée. Un élan de fougue me prend et j’augmente légèrement le rythme. Mon acolyte me dit de filer et a visiblement raison de se ménager : je fais à peine un kilomètre à cette allure et je marche de nouveau. Jasper me récupère et je ne peux même plus essayer de le suivre (de toute manière, j’ai épuisé tout mon vocabulaire d’outre-manche).


Je rallie progressivement et tant bien que mal, en « courchant » toujours, le kilomètre « presque 27 » puisque Gaëlle est venue à ma rencontre à environ 800 mètres du checkpoint donnant l’accès à la montée finale. Je suis heureux de la voir bien sûr, mais également soulagé car j’arrive à ce point avec plus de 65 minutes d’avance sur l’heure de bascule permettant de finir la course au sommet. La suite de la journée est simple : il suffit de pointer à T3 (l’endroit qui valide ou non le passage pour la montée finale), de récupérer nos sacs avec matériel obligatoire (frontale, vêtements chauds et ravitaillement) et de grimper jusqu’au sommet tous les deux, car l’accompagnement de l’athlète est obligatoire…
Dans l’euphorie, Gaëlle oublie son sac, on s’en rend compte heureusement assez rapidement mais elle effectue tout de même un sprint de 300 mètres avant d’entamer notre périple commun. Constat assez simple à partir de cet endroit, je ne peux plus courir. Musculairement, ça ne répond plus assez et le coeur s’emballe dès que j’essaie. Nous marchons donc d’abord dans la ville de Livigno, où tous les passants ou presque nous encouragent et nous félicitent comme si c’était déjà fini. Nous débarquons sur une petite place entourée de plusieurs bars, où l’organisation a installé un DJ et un speaker. Pile au moment où nous passons, Michael Jackson retentit et l’animateur au micro ambiance les lieux. La lucidité qui me reste me pousse à la connerie et j’entame une pâle imitation de moonwalk qui fait beaucoup rire Gaëlle, l’italien au micro et les personnes en terrasse. C’était sans compter sur les crampes qui se déclenchent quasi instantanément et me forcent à stopper mes bêtises.

A peine 200 mètres plus loin, les choses sérieuses commencent, la marche douce, sur terrain plat en ville avec des encouragements, c’est fini. On tourne à gauche et il faut maintenant grimper « droit dans l’pentu », en remontant une piste de ski. Mes cuisses ne poussent plus grand chose, et je suis contraint à faire des pauses régulières car le coeur s’emballe encore et toujours. Après 10 minutes environ de montée raide, le chemin s’adoucit un peu et nous marchons ensuite environ 45 minutes sur un sentier qui serpente entre des chalets d’altitude. Nous discutons évidemment de la journée, je remercie Gaëlle d’avoir assuré à 300% son rôle d’assistante, la nuit est tombée et nous évoluons à la lumière de nos frontales. Nous sommes assez pressés d’en finir avec cette journée.
Arrive le dernier ravitaillement du parcours. Nous faisons le plein d’eau, de sucres et d’encouragements avant de nous lancer (étant donné l’allure, c’est un bien grand mot) dans la dernière partie de cette course : une montée continue de 4 kilomètres, jusqu’au sommet, à Carossello3000. Il n’est pas question de courir (je ne sais même pas si les premiers le peuvent à ce moment de la course). La pente est telle que je suis à nouveau contraint de m’arrêter régulièrement. Je n’arrive plus à pousser suffisamment sur mes jambes et j’ai l’impression de manquer de souffle.
Est-ce :
– l’altitude ? Nous sommes à plus de 2400 mètres.
– la fatigue ? La nuit blanche n’aide sûrement pas.
– un déficit énergétique ? J’ai maintenant du mal à ingérer quoi que ce soit.
– le manque de renforcement ? Le quoi ?
Aucune idée, mais chaque pas devient pénible et je râle encore plus que d’habitude. Je négocie durement une pause avec ma coéquipière pour m’asseoir. Gaëlle est plutôt contre et me dit que j’aurai du mal à me relever, ce que je conteste. Je pose quoi qu’il advienne mes fesses sur un caillou qui dépasse et ressens enfin le bonheur de mettre mes jambes au repos. Je tripatouille mes muscles pour les rendre comme neufs (abracadabra) et me relève sans souci (j’avais raison, comme toujours). Et là, magie, je marche comme je le veux, ça ne pince plus, c’est super ! Cette sensation dure approximativement 30 mètres…


Je « mause » (alternance de marche et de pause) comme je le peux vers le sommet. La montée est infernale, en lacets sur une piste de 4×4 sous les remontées mécaniques. Il fait nuit, les oeufs au-dessus de nos têtes font du bruit, la pente ne s’adoucit jamais. Honnêtement, y’a plus rien d’agréable. Au bout d’un moment et lors d’une pause, je me tourne vers l’arrière et regarde les lumières de la ville de Livigno qui illuminent la vallée, mais également les projections des frontales des concurrents qui reviennent tous ou presque sur moi. Tous ceux qui me dépassent nous glissent des mots d’encouragements et sont surtout équipés de bâtons ! Je n’en ai jamais utilisé, mais je dois admettre que comme mes jambes ne poussent plus rien, je serais ravi d’utiliser ces machins pour me hisser plus vite au bout de cette épreuve.
Je regarde à nouveau en arrière et décide de marcher à reculons pour éviter de perdre trop de temps. ET LA, INCROYABLE ! Si mes quadris ne sont plus capables de pousser, il s’avère qu’en marche arrière, ça file quasi tout seul. Je suis donc le seul guignol à alterner marche avant et marche arrière tous les 50 mètres afin de gagner le sommet, mais ça me va.
Nous entendons enfin le speaker ! 3 lacets et une éternité plus tard, nous voyons enfin la ligne d’arrivée. Après une dernière rampe épique qui met au défi nos dernières forces mentales, nous franchissons avec Gaëlle cette ligne d’arrivée tant espérée.
La satisfaction prend le pas sur toutes les autres émotions et cède assez rapidement sa place à la fatigue, mais ça y est, au bout de 17 heures 57 d’efforts, la journée est finie, l’ICON 2024 est fait…

… et laissera assurément quelques traces 😅
